Paupières pendantes. Papier de chair tendre comme des pétales de chrysanthème.
Dans son si joli cercueil, il ne cligne presque plus les yeux.
Elle est la seule à venir encore. Pas pour lui, mais pour le ménage. Elle aère de temps en temps, en ouvrant la fenêtre de la cuisine pendant qu’elle lave et relave le plan de travail.
Cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus rien à nettoyer. Plus rien ne se salit ici.
À l’autre bout de l’appartement, sur le fauteuil en faux cuir qui crisse quand on s’assoit, il soulève un peu les pieds pour l’aspirateur. Il n’y a pourtant plus rien à aspirer. Ses chaussons ne vieillissent plus, les semelles restent neuves.
Il n’entend pas quand elle entre, ni quand elle repart. Elle murmure bonjour et au revoir à peine, à peine pour ne pas le déranger.
Ce n’est pas lui qui la paye, pas lui, qui ait souhaité qu’elle vienne. C’est la culpabilité des enfants qui les poussent à s’occuper de lui, du bout des doigts, à travers cet intermédiaire aseptisé.
Il n’a pas dit oui, il n’a pas dit non, réduit à l’état de petit garçon pour qui l’on décide.
Il se lave encore, et se rend aux toilettes tout seul, bientôt on le fera pour lui.
Le téléphone ne sonne que quand elle est là, afin d’être bien sûr de ne pas tomber sur lui.
Il fait alors systématiquement semblant de dormir, elle n’ose pas le réveiller et les interlocuteurs n’insistent pas pour qu’elle le fasse.
Il avait naïvement pensé qu’en ne répondant pas, ils finiraient par venir le voir de nouveau en vrai. Mais « le monde tourne si vite » comme ils disent. « Si vite »…
Ne surtout pas les ralentir avec son vieil âge, ne pas provoquer de détours dans leur emploi du temps immuable.
On appelle pour prévenir que l’on passe, puis pour prévenir que l’on ne passe pas. Se résigner peu à peu à être celui que l’on déplace à un autre jour, que l’on déplace à l’infini parce qu’un autre jour, on n’aura finalement pas plus envie d’aller le voir.
On appelle pour entendre le son de sa voix et prendre de ses nouvelles, puis on ne s’adresse plus qu’à la femme de ménage. Tout aussi efficace et amplement suffisant.
Ils demandent s’il a bien fait son rot, si le dodo est sans cauchemars. Ils sont toujours pressés, précisent évidemment qu’ils rappelleront à un autre moment, pour « discuter un peu avec lui quand même ».
Mais inlassablement ils rappelleront chaque semaine à la même heure. Il fera semblant de dormir, elle répondra pour lui, et la vie se déroulera insipide et bête à pleurer.



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